La majorité des migrants africains présents sur l’île grecque de Lesbos vivent dans un camp de fortune au milieu des champs d’oliviers, non loin du grand camp de Moria. Sur place, l’électricité et l’eau sont rares, la vie précaire. Mais tous veulent éviter « l’enfer libyen ».
Comme chaque dimanche après la messe, un groupe de migrants africains attend devant l’église Saint-Marie de l’Assomption à Mytiliène le bus qui les ramène à Moria. Ce jour-là, 19 janvier 2019, le prêtre de l’unique paroisse catholique de l’île de Lesbos a consacré toute une partie de la messe à Jean-Paul, un migrant camerounais qui a perdu la vie à l’intérieur du camp de Moria.
Les raisons de sa mort font débat depuis plusieurs jours. Selon les dirigeants du camp, Jean-Paul avait une santé défaillante et des antécédents médicaux. Mais pour les migrants, il a été victime des conditions de vie difficiles du camp et serait mort de froid.
Ce jour-là, pas de place pour la polémique, les migrants africains sont présents uniquement pour rendre hommage à leur frère qui a fui le Cameroun anglophone quelques mois auparavant laissant derrière lui une jeune épouse et un enfant de 2 ans. Ils sont Congolais, Camerounais ou Ghanéens. Tous sont arrivés sur cette petite île grecque depuis la Turquie.
Christian* lui est Camerounais, comme le défunt. Il a quitté son pays au mois de juin 2018 pour aller en Iran par avion avec un visa étudiant. « De nombreux Africains économisent beaucoup d’argent et dès qu’ils obtiennent un visa pour l’Iran, ils se lancent ensuite dans une longue marche pour atteindre la Turquie à pied », explique-t-il. Un parcours plus cher et plus long, mais Christian nous explique que les images révélées par CNN sur lesquelles on voit des migrants africains torturés et vendus en Libye l’ont traumatisées. « J’ai mis beaucoup de temps à arriver à Lesbos. Mais tout au long de mon trajet je me suis répété : tout sauf l’enfer Libyen. Mais l’enfer je l’ai finalement découvert en Europe », confie-t-il tristement.
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L’enfer que Christian nous décrit correspond aux trois mois qu’il a passé dans un centre de rétention à son arrivée à Lesbos. Situé à quelques mètres du camp de Moria, certains migrants entrés illégalement sur le territoire grec y sont placés pour une durée de 90 jours, le temps de leur identification. Sur son téléphone, Christian a gardé les photos de l’été qu’il a passé à l’intérieur de ce lieu, que lui et d’autres exilés appellent « Guantanamo ». Il décrit une détention rythmée par deux promenades par semaine et les interminables journées caniculaires où l’eau potable est distribuée au compte-goutte par les autorités.

Tentatives de suicide
Jean*, un migrant congolais de 17 ans entre dans le fast-food où InfoMigrants lui a donné rendez-vous. Il fait partie d’un groupe de jeunes hommes qui se sont échappés du centre de rétention. Lorsqu’il a obtenu un visa pour la Turquie, toute sa famille a cotisé pour lui offrir le billet d’avion mais aussi les 500 euros nécessaires pour payer la traversée de la mer Égée. Désormais, il vit dans la section réservée aux mineurs du camp de Moria.
Affaibli physiquement mais aussi moralement, il a du mal à supporter les conditions de vie sur l’île de Lesbos. « Souvent j’ai des idées noires. C’est difficile à exprimer et on en parle pas entre nous. Mais beaucoup de jeunes ici tentent de se suicider, ils ne supportent pas cette vie », dit-il.
Au tabou du suicide, s’ajoute la peur de dénoncer les conditions de vies difficiles par crainte de représailles des autorités. « Il paraît que si on raconte comment ça se passe ici, ils te retrouvent et bloque ton dossier de demande d’asile », raconte Jean citant les rumeurs qui circulent dans le camp.
Les démarches de demandes d’asile sont longues pour les migrants en Grèce et en particulier pour les Africains. Voyageant souvent seuls, ces jeunes hommes sont souvent considérés comme des migrants économiques, c’est à dire non éligible à l’asile. Ils ne sont donc pas une priorité pour les autorités grecques qui traitent d’abord les dossiers des demandeurs d’asile vulnérables ou fuyants des conflits armés comme les Syriens, les Irakiens ou les Afghans. Certains migrants africains sont bloqués à Lesbos depuis plus d’un an et attendent toujours d’obtenir un rendez-vous pour déposer leur demande d’asile sans garantie qu’elle soit un jour retenue.
Face à cette attente interminable dans des conditions terribles, la petite église catholique de l’île, quasiment vide il y a encore quelques années, est devenue l’un des rares endroits où les migrants africains parviennent à créer du lien social. Depuis l’arrivée des migrants africains sur l’île, deux prêtres assurent désormais l’office du dimanche en français et en anglais. Tous les migrants peuvent ainsi comprendre la messe, échanger et se confier.
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