Dans cette lettre ouverte adressée au ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, des « Burkinabè indignés » vivant en Libye dénoncent des pratiques au sein de l’ambassade du Burkina à Tripoli. Face au flot d’accusations, nous avons réussi à joindre au téléphone l’ambassadeur de passage à Ouagadougou, pour avoir sa version des faits. Mais ce dernier n’a pas souhaité répondre à notre demande d’interview. Il dit n’avoir rien à se reprocher et invite plutôt les mécontents à le rencontrer à l’ambassade, qu’il dit ouverte à tous les Burkinabè de Libye, pour exposer leurs préoccupations.
Excellence,
La communauté burkinabè résidant en Libye vous adresse cette lettre, pour protester contre les agissements de l’ambassadeur du Burkina Faso accrédité près la Libye.
Comme vous le savez, notre pays, en dépit de la modicité de ses moyens, s’est toujours évertué à marquer sa présence sur la scène internationale. Si ce déploiement diplomatique est guidé par le souci de raffermir nos liens d’amitié et de coopération avec la communauté internationale, il est surtout motivé par la volonté de l’Etat burkinabè d’assurer la protection des Burkinabé et de garantir leurs intérêts à l’étranger.
C’est ce qui explique certainement l’ouverture d’une mission diplomatique en Libye depuis 1984.
Notre communauté est connue pour son dynamisme, son sérieux et son ardeur au travail. Elle est hautement appréciée par le peuple libyen, mais durement éprouvée depuis quelques années par la crise politique qui secoue ce pays.
La nomination du général Abraham Traoré comme ambassadeur a été accueillie avec enthousiasme, au regard du contexte sécuritaire que traverse la Libye.
Malheureusement, dès la première année de l’exercice de sa fonction, nous avons été déçus, tant il a bâti sa mission sur l’arrogance et le mépris vis-à-vis des ressortissants burkinabè. Cela fait plus de cinq ans qu’il préside aux destinées de notre mission diplomatique et consulaire, avant même l’insurrection populaire. Cinq ans de haine viscérale contre nos compatriotes pour une raison que nous ignorons. Nous avons l’impression qu’il est en bagarre avec tout le monde et pour rien, absolument rien.
Il n’est un secret pour personne qu’en plus de représenter son pays, l’ambassadeur doit protéger les citoyens burkinabè.
Celui-là même qui se targue d’être un « général » de l’aviation n’a pourtant posé aucun acte qui démontre son souci de sauvegarder l’intérêt du Burkina Faso, encore moins de ses ressortissants. Nous pensons que si le choix des autorités de notre pays s’est porté sur un homme de sérail militaire pour conduire cette mission diplomatique, c’est parce qu’elles sont conscientes des enjeux sécuritaires de la Libye.
La logique aurait voulu qu’un officier supérieur de sa trempe soit préoccupé par la sécurité de ses concitoyens en mettant en place, en collaboration avec nos compatriotes, un système d’évaluation de la situation sécuritaire et en donnant des consignes pour éviter aux Burkinabè la souffrance.
Mais cela est le dernier de son souci. Interpellé sur la question, il prétexte qu’il est dangereux de regrouper les ressortissants, alors qu’il lance chaque fin d’année des appels pressants à la communauté burkinabè à venir lui présenter des vœux de nouvel an, en dépit des situations explosives que connaît la ville de Tripoli. Oui, sa gloire personnelle vaut mieux que la sécurité de ses compatriotes.
Nous estimons que la présentation des vœux doit être une décision de la communauté et non imposée par l’ambassadeur. Ce regroupement pour sa gloire personnelle et dans les circonstances actuelles du pays, met en danger la vie de nos compatriotes. C’est ainsi qu’en 2017, à un moment où la situation était tendue à Tripoli, il n’a pas hésité à inviter les Burkinabè de Tripoli à venir forcément lui présenter leurs vœux.
Ce jour-là, lui-même et tous ceux qui ont osé faire le déplacement de l’ambassade ont été bloqués par des tirs nourris, ils étaient obligés de fermer l’ambassade et d’éteindre toutes les lumières en attendant que la situation se calme dans la zone. Nous pensons qu’un général doit être prudent, de la prudence du général dépend le courage des soldats !
Dans son article intitulé « Quel est le rôle d’un ambassadeur », Lambert Christian nous parle d’un diplomate français qui a passé neuf mois à négocier la libération d’un citoyen français en Afghanistan, un exemple d’engagement qui doit inspirer nos ambassadeurs.
Le général ambassadeur est tout à fait le contraire de ce diplomate français. Une brave dame burkinabè qui travaillait à l’ambassade de Hongrie à Tripoli avait été enlevée par des miliciens, mais comme d’habitude, l’ambassadeur s’est désintéressé de son sort, c’est l’ambassadeur de Hongrie, ayant attendu vainement la réaction de notre mission diplomatique, qui a été obligé d’agir pour obtenir la libération de notre sœur.
Nous avons eu honte, lorsque cet ambassadeur hongrois nous a posé la question si le Burkina avait un ambassadeur en Libye. Il sait bien que le Burkina en a, mais c’était une ironie, une façon de nous demander à quoi sert notre ambassadeur en Libye.
La mission du général est confinée à Tripoli, alors que nos compatriotes sont partout dans le pays. Il n’a organisé aucune mission consulaire à Bengazi où on trouve un contingent important de nos compatriotes, ni s’informé de la situation des compatriotes coincés dans les autres régions. Chaque fois qu’on lui a posé la question, il répond qu’il n’y a pas de budget pour ça. Oui, pas de budget pour les Burkinabè, mais il y a un budget pour lui et sa famille.
Monsieur le ministre, l’ambassadeur et sa femme, qui est du reste sa conseillère juridique, développent une sorte de répugnance vis-à-vis de la communauté burkinabè. Nous avons une multitude d’exemples à vous donner. Le 28 octobre 2018, une ONG de bonne volonté, appelée Danish Refugees Council, avait recensé les femmes burkinabè en vue de leur donner des soutiens financiers de 500 dinars, équivalant à 200 000 francs CFA, compte tenu du fait que nombreuses d’entre elles n’arrivaient plus à aller au travail pour des raisons sécuritaires.
L’ambassadeur a refusé que les femmes aient accès à l’ambassade pour recevoir ce soutien financier dont elles ont tant besoin. Elles étaient obligées de solliciter l’ambassade du Mali qui leur a prêté ses locaux sans aucune demande formelle et le même jour, pour la remise des dons. Monsieur le ministre, nous n’inventons rien, ces informations sont vérifiables auprès de l’Association des femmes burkinabè en Libye, auprès de l’ambassade du Mali en Libye et auprès de l’ONG Danish Refugees Council.
Un de nos compatriotes devait, suite à l’accouchement de sa femme, régler une facture médicale de 25 000 dinars libyens, soit la somme de dix millions de francs CFA. Nous nous sommes cotisés pour venir en aide à l’intéressé, mais le montant réuni ne couvrait pas la facture, d’où la nécessité d’avoir recours à l’appui de Danish Refugees Council.
Le 6 novembre 2018, l’ONG s’est rendue à l’ambassade, après avoir obtenu l’accord du service consulaire, pour remettre son appui à la famille en détresse. A notre grande surprise, le représentant de Danish Refugees Council et son collaborateur, un Burkinabè, ont été sommés de quitter les lieux.
Récemment encore, l’Association des femmes a sollicité, pour raison de sécurité, l’enceinte de la résidence de la mission diplomatique pour célébrer la journée du 8-Mars 2019 ; elles se sont une fois de plus heurtées à son refus. Il leur a proposé l’enceinte d’une parcelle dans la rue et à moitié clôturée. Les femmes ont rejeté ce cadre inapproprié, en invoquant comme arguments les intempéries et le danger lié au contexte d’insécurité que la ville de Tripoli traverse. C’est ainsi que la célébration du 8-Mars 2019 a été annulée. Pourquoi cette haine contre nos compatriotes ? Pourquoi faire de notre ambassade « a no-go area » ?
Pourtant, des groupes de prière protestants composés de nationalités burkinabè, ghanéennes, burundaises, nigérianes et sud-soudanais sont transportés au moins deux fois par semaine à la résidence avec le véhicule de l’ambassade, foulant au pied le principe de la laïcité si cher à notre pays.
Profitant du fait qu’aucune inspection n’a pas été conduite à l’ambassade à Tripoli depuis qu’il est en poste, il utilise les biens de notre Etat comme sa chose personnelle.
Il n’a pas hésité d’ailleurs à recruter sa propre fille comme cuisinière de la résidence et continue de lui payer un salaire pendant qu’elle se trouvait à Tunis. Une pratique de ce genre dans ce contexte économique difficile de notre pays, et de la part d’un officier de notre armée, doit être dénoncée.
Monsieur le ministre, le général « ambassadeur » et sa femme sont plus en mission d’évangélisation qu’en mission diplomatique et consulaire. Ils ont divisé la communauté burkinabè en musulmans, chrétiens ; en catholiques et protestants, alors qu’on vivait en parfaite harmonie et dans la solidarité agissante. Il convient de souligner que nous n’avons rien contre les protestants, dans la mesure où cette foi est partagée par certains de nos compatriotes. Mais un ambassadeur est le représentant de l’Etat burkinabè en Libye, et à ce titre, à l’image du chef de l’Etat qu’il représente personnellement, il ne doit jamais se défaire de son costume de rassembleur des citoyens et de défenseur de la cohésion nationale.
Le « général ambassadeur » n’a pas la compétence, le niveau ni la moralité requise pour diriger une mission, et nous sommes obligés de le dire. Il n’arrive pas à comprendre qu’une mission diplomatique n’est pas un camp militaire où on met les hommes au garde-à-vous, mais des contradictions à gérer. Même ses collègues diplomates dénoncent son attitude cavalière et son manque de clairvoyance.
Nous voudrons, monsieur le ministre, vous interpeller sur la nécessité d’assumer votre responsabilité vis-à-vis de votre ambassadeur, au risque d’entamer l’excellente relation qui existe entre la Libye et notre pays. Votre ambassadeur a quitté son couloir diplomatique en troquant sa mission contre une campagne d’évangélisation qui constitue une menace sérieuse contre la sécurité des ressortissants burkinabè en Libye, au regard du contexte de ce pays marqué par la présence des islamistes.
Jusqu’ici, monsieur le ministre, nous avons usé de toutes notre influence pour calmer les plus jeunes d’entre nous, prêts à affronter votre ambassadeur. Nous avons agi ainsi parce que nous ne voulons pas que la bonne presse, dont jouit notre pays en Libye, soit écornée. Mais si rien n’est fait pour recadrer ce comportement anti-Burkinabè, nous serons obligés d’agir à notre manière.
Des Burkinabè indignés à Tripoli