Les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar quittent le campus à la suite d’une décision de l’administration visant à évacuer les lieux. Jeudi, le Sénégal a connu l’une de ses journées de contestation les plus violentes depuis des années, avec neuf décès selon le ministère de l’Intérieur, suite à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs.
À l’université, qui a été le théâtre d’affrontements prolongés et de destructions massives, les étudiants ont reçu l’ordre de partir. Craignant les pillages, de nombreux magasins sont restés fermés le long des rues portant encore les stigmates des violences de la veille.
« Nous ne nous attendions pas à cela, les affaires politiques ne devraient pas nous toucher », a déclaré Babacar Ndiaye, un étudiant de 26 ans à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Mais il y a de l’injustice », a-t-il ajouté en référence à la condamnation de M. Sonko, engagé depuis deux ans dans une lutte acharnée avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique.
Jusqu’à présent, une trentaine de civils ont perdu la vie dans des troubles largement liés aux déboires judiciaires d’Ousmane Sonko. Bien qu’il ait été acquitté des accusations de viol et de menaces de mort à l’encontre d’une employée d’un salon de beauté, l’opposant a été condamné jeudi à deux ans de prison ferme pour incitation à la débauche d’une jeune femme de moins de 21 ans.
Cette condamnation pourrait entraîner l’inéligibilité d’Ousmane Sonko conformément au code électoral. Par vagues successives, les étudiants de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar quittent précipitamment le campus, certains tenant leurs sacs à la main, d’autres les portant sur la tête. La nuit a été longue, et le réveil difficile.
Jeudi soir, l’université, l’une des plus grandes d’Afrique de l’Ouest, est devenue un champ de bataille, avec de violents affrontements entre les forces de l’ordre et les étudiants, suite à la condamnation à deux ans de prison de l’opposant Ousmane Sonko, une décision qui pourrait mettre fin à ses aspirations présidentielles en 2024.
Le leader du Pastef, connu pour son discours souverainiste, social et panafricain, critique régulièrement l’ancienne puissance coloniale française et bénéficie d’un fort soutien parmi les jeunes. Condamné pour « corruption de la jeunesse », qui consiste à favoriser la débauche d’un jeune de moins de 21 ans, M. Sonko estime être victime d’un complot ourdi par le président Macky Sall afin de l’éliminer politiquement. Ses partisans partagent également cette opinion.
Lorsque le verdict est tombé, les étudiants ont exprimé leur colère à l’université, plongeant ainsi dans le chaos.
En soirée, alors que de nombreuses facultés étaient en flammes et que les affrontements se poursuivaient, les autorités universitaires ont annoncé la fermeture du campus jusqu’à nouvel ordre, prenant de court tous les étudiants.
Le vendredi matin, les visages des jeunes étaient marqués et beaucoup marchaient rapidement, sans trop savoir quoi faire ni où aller. Aneth Diaw, étudiant en français âgé de 32 ans, avait le cœur lourd. Il devait soutenir sa thèse la semaine suivante, mais maintenant il ne sait pas quand il pourra le faire. Il regrette cette situation en tenant un sac à la main et un petit matelas sur la tête.
Originaire de Matam, dans le nord du Sénégal, Aguibou se demande comment il pourra rentrer chez lui. En ce début de mois, les étudiants n’ont pas encore reçu leurs bourses allouées par l’État et leurs « poches sont vides », affirme Mamadou Diop, un étudiant en journalisme âgé de 26 ans.
« Les affaires politiques ne devraient pas nous toucher. Mais il y a trop d’injustice dans ce pays. Les étudiants sont intervenus parce que le verdict (contre Sonko) est injuste », estime Babacar Ndiaye, étudiant en lettres.
L’UCAD est connue au Sénégal comme étant un haut lieu de contestation politique. En mars 2021, des étudiants s’étaient déjà révoltés contre l’interpellation de M. Sonko dans la même affaire judiciaire, ainsi que pour réclamer de meilleures conditions d’études.
« Manifester de cette manière (avec des violences et des destructions) compromet notre propre avenir. Je ne vois pas l’intérêt de saccager nos propres installations. C’est nous-mêmes qui sommes pénalisés », pense Adama Guissé, âgé de 27 ans.
Devant lui, une longue file de bus. Les destinations : Mbour, Diourbel, Fatick, Louga, Kaolack… Les étudiants avancent, encore imprégnés de l’odeur âcre des gaz lacrymogènes tirés la veille.